Critique de Retrospection

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C'est comme sortir du brouillard. Un instant, il n'y a que le néant, le suivant c'est comme si le monde entier m'attirait à lui.

Je n'ai jamais aimé me réveiller. Et ce réveil en particulier… quelque chose n'est pas à sa place.

Retrospection est une participation au concours de fiction interactive francophone de 2022, et a été écrite par Hel, Mylène Caillon et Cobb.

Une écriture évocatrice

La protagoniste se réveille avec un mal de crâne et sans souvenirs. L'amnésie, un classique de la fiction interactive ! Mais Retrospection utilise cette prémisse intelligemment et on ne tombe pas dans le cliché.

Comme le dit la citation plus haut : « Quelque chose n'est pas à sa place. » Peut-être qu'il n'y aurait même pas eu besoin de le dire. L'écriture fait un très bon travail et m'a fait ressentir que quelque chose n'allait effectivement pas. Où sommes-nous ? Et pourquoi ?

Et qui est ce mystérieux conducteur, ou cette mystérieuse conductrice, qu'on ne voit que par le rétroviseur ? Pour s'y référer, le texte utilise des pronoms inclusifs comme « iel ». Bien que je ne sois pas vraiment un fan de ce genre de mots pour diverses raisons (mais ça n'est pas le sujet de cet article), j'ai trouvé que leur usage était en fait judicieux dans le contexte de cette fiction interactive. J'ai pensé qu'il aurait peut-être été préférable d'utiliser un texte épicène (évitant les mots genrés), mais comme la plupart des gens s'imaginent par défaut un personnage masculin, utiliser cette écriture inclusive a le mérite de rendre les choses explicites. (Ou bien embrouillées ? Ce qui serait peut-être un peu le but.) Bref, le texte est finalement très bien tel qu'il est.

Tout ça pour dire que c'est bien écrit, avec des choix réfléchis et des images évocatrices, tout cela renforcé par la mise en scène.

Une belle mise en scène

On est devant du Twine somme toute assez classique : on clique sur des mots pour révéler davantage de texte ou pour continuer l'histoire. Mais ces mots sont toujours bien choisis et les interactions offrent une bonne immersion. En outre, les couleurs ainsi que la personne du texte changent en fonction des situations, ce qui évite de trop se perdre.

À un moment, il faut trouver une réponse dans un minijeu non textuel. C'était amusant parce que je l'ai vu venir en me disant : « Ça serait drôle si on me proposait maintenant de faire cela. » Et c'est ce qui s'est passé. Malheureusement, les effets sonores quand on réussit le minijeu cassent un peu l'ambiance construite par le texte jusque là. Et il s'avère qu'à ce moment de l'histoire, on connaît en fait déjà la réponse trouvée à la fin du minijeu, ce qui le rend un peu décevant. (À noter que ça permet au moins aux personnes utilisant un lecteur d'écran d'avoir la solution sans avoir à faire le minijeu, qui j'imagine leur est inaccessible.) Malgré tout, et même s'il tranche un peu avec le reste, j'ai trouvé bienvenu le changement de rythme engendré.

Seul point négatif dans la présentation, je n'ai pas été convaincu par la police pixelisée rétro, qui ne semblait pas spécialement dans le thème et qui rendait la lecture du texte un peu moins agréable. Ça n'était pas bloquant, loin de là, mais c'était un peu dommage.

Un milieu un peu plus faible

Si la fiction interactive commence bien, j'ai moins apprécié le milieu. Jusque là, on assiste à des flash-backs courts, souvenirs semblables à des éclairs. Puis on arrive à un point où la protagoniste se rappelle enfin.

S'ensuivent paragraphes après paragraphes d'exposition, sans le côté mystérieux et étrange du début, et sans choix à faire. C'était toujours bien écrit et agréable à lire et, dans le contexte de l'histoire, cette séquence est tout à fait logique. Mais de mon point de vue de joueur-lecteur, c'était moins intéressant.

Pas rédhibitoire, donc, mais pas aussi bien que le début.

Et les fins

Il y a plusieurs fins. Quelques « mauvaises » au début qui forcent à tout rejouer, mais ça n'est pas gênant et ça permet de faire les choix qu'on n'avait pas pris.

Même si je les avais un peu devinées, les « vrais » fins sont satisfaisantes, apportant une conclusion tout en laissant une part de mystère.

Verdict

Retrospection n'est pas parfait, mais c'est en même temps difficile de maintenir la qualité après un si bon début (pas que le milieu soit mauvais non plus bien sûr).

Je trouve qu'elle se place un peu dans la même catégorie que les Androïdes : excellente écriture, histoire intrigante, un aspect « nouvelle interactive », et comme les Androïdes, j'ai estimé que Retrospection serait l'un des favoris, ce qui s'est avéré être le cas puisqu'il a terminé troisième !